Lettre à Amandine et à ceux qui l’ont aimée

Chère Amandine,
Les chances pour que nos routes se croisent un jour étaient aussi minces qu’une feuille de papier. Ton histoire de vie, je l’ai lue dans les journaux, il est trop tard pour l’entendre de ta propre voix, bien trop tard.
Ma gorge se serre en lisant les articles criant l’ampleur des sévices endurés, commis, comble de l’horreur, par ceux qui auraient dû t’aimer et te protéger.
Permets-moi de te témoigner ma tristesse à l’aide de mots certainement maladroits, de te livrer ma pensée meurtrie en découvrant l’expérience douloureuse que tu as eue de la vie, à la fois brève et tragique, impensable. Notre lâcheté et notre inefficacité à tous, face à tes bourreaux, m’indignent.
Tu espérais que quelqu’un te sorte de cet enfer, toi qui étais sans défense, sous la responsabilité légale d’individus monstrueux. Pourtant, aucune main secourable et courageuse n’est parvenue à te sauver. Parmi cette myriade d’adultes qui ont gravité autour de toi, quelques-uns ont essayé de le faire, en vain, la machine procédurale, aveugle et sourde, a dysfonctionné. Les drames se répètent.
En dépit des statistiques, des témoignages et des alertes des associations, que des enfants puissent être maltraités par leurs parents, reste inconcevable. Quelle terrible erreur ! Les parents, source d’amour inconditionnel, de transmission et d’apprentissage, peuvent être traversés de sentiments contradictoires et complexes, certes. Mais toi, tu vivais sous la coupe d’adultes ignobles qui t’ont privée de liberté et torturée, ils n’étaient parents qu’administrativement. Derrière la porte, c’étaient des monstres.
De ma place, je suis incapable d’estimer la solitude incommensurable et noire que tu as dû éprouver, toutes ces années. Tu avais treize ans quand tu es partie, seulement treize ans, tu étais si jeune. La peur devait te tordre le ventre continuellement. Tu ne demandais qu’à vivre, à jouir de ce droit sacré qui t’était dû. Tu as résisté, mue par l’instinct de survie, jusqu’au jour où la cruauté de cette femme sans âme et la lâcheté de cet homme couard ont eu raison de toi, si frêle.
Ton destin ne doit pas nous faire oublier que tu as été une adolescente dans toute sa singularité. Sur cette photo de toi diffusée par la presse, alors que se déroule le procès de tes bourreaux, je te regarde, jeune fille souriante, vêtue d’un sweat kaki assorti à ton joli teint. Ton sourire a sûrement été sollicité par le photographe, à l’occasion de la rentrée des classes, ta dernière rentrée. Il imprime sur ton beau visage, une expression tout en retenue. L’ombre sur tes yeux m’aurait peut-être échappée si je n’avais su l’issue monstrueuse de ton chemin de vie. Il est si délicat de percevoir avec justesse la subtilité des émotions sur un cliché.
Si j’étais romancière, j’utiliserais ma plume pour changer ta destinée et t’emmener au-delà de la trappe qui s’est refermée sur toi. Je te construirais la vie qui aurait dû être la tienne. Une existence loin de tes tortionnaires, entourée de personnes aimantes qui parviendront, non pas à te faire oublier les sévices rivés à ta chair, mais à te doter d’outils te permettant de vivre pleinement malgré eux.
Si j’étais écrivain, j’inventerais l’histoire dont tu rêvais, celle d’une vie ordinaire, avec ses routines et ses projets, émaillée de bulles de bonheur, d’ivresse mais aussi d’ennui et de tristes moments. Une vie discrète, loin des caméras et des projecteurs. En somme, le récit banal mais si précieux, au XXIème siècle, d’une jeune femme française libre et fière, rescapée d’une enfance martyrisée.
Je refuse de retenir le nom de tes bourreaux, je refuse de connaître leur histoire, je ne veux me souvenir que de toi, Amandine, jeune fille brune, aux yeux colorés de tristesse et d’espoir. Tu vivras ainsi dans ma mémoire et dans celle des personnes qui ont eu la chance de te connaître et de t’aimer.
A ces dernières, j’adresse mes condoléances les plus sincères. Je confie aux oiseaux le soin de t’apporter là où tu te trouves dorénavant, la chaleur et la douceur de ma pensée.
Laurence