Uncategorized

La chemise en papier

Hier, j’avais rendez-vous avec Thérèse pour qui je rédige le récit de vie, à partir d’une montagne d’écrits qu’elle a accumulés au fil des ans. En arrivant dans mon bureau, à peine assise sur sa chaise, Thérèse m’a montré la chemise en papier qu’elle avait apportée. Sur la couverture de celle-ci, elle avait collé ma carte de visite et un extrait d’article de presse, puis avait écrit le titre du dossier en grosses lettres. Depuis des années, Thérèse épluche les journaux et découpe des articles dont les mots ont une résonance pour elle. Elle ouvre un nouveau dossier dès qu’un sujet l’interpelle, puis l’agrémente de ces mots collectés.

Et moi, je n’ai lu ni l’article ni le titre. Je ne lui ai même pas demandé ce qu’elle avait glissé dans la chemise. Elle l’avait créée à l’occasion de l’accompagnement biographique que j’ai mis en place auprès d’elle et je n’y ai prêté aucune attention. J’ai bien ressenti une distorsion dans notre échange, mais je l’ai balayée en une fraction de seconde. À la fin de notre entretien, elle m’a montré à nouveau son dossier et je me souviens lui avoir dit du bout des lèvres que c’était bien. Il était difficile d’ignorer son insistance.

Pourtant, c’était évidemment une chose importante à ses yeux. Concentrée sur le déroulé de notre entretien, j’ai suivi mon fil, sans prendre le temps de lui signifier que j’avais vu sa réalisation et son intention. J’ai esquivé son attente pour une seconde raison : à mes yeux, ce qu’elle avait réalisé ne méritait pas que l’on s’y arrête, car cela relevait de l’école élémentaire. Quelle suffisance de ma part ! Et surtout, quelle erreur !

Je crois qu’à ma place de biographe et d’être humain, tout simplement, je me dois de corriger ce vieux réflexe hérité de mon enfance. Je me souviens très bien de la frustration ressentie lorsque mes parents ne prêtaient aucune attention à ce que je leur montrais, d’une manière ou d’une autre, alors que j’espérais, a minima, leur approbation. Ils devaient juger, comme moi aujourd’hui, que cela ne valait pas grand-chose. Se mettre à la place de l’autre, peu importe son âge, peut s’avérer complexe, surtout quand l’événement en question est banal. Pourtant, avoir de l’empathie dans cette situation, c’est ne pas rechercher à tout prix l’excellence chez l’autre, c’est recevoir ce qu’il nous donne à voir, sans porter de jugement sur sa performance, parce qu’à ses yeux, son don a de la valeur, et parce qu’il nous accorde sa confiance. C’est inestimable.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *